C’est quoi le rôle d’un écrivain ? A quoi servent littérature et intellectuels? La réponse varie au gré des modes et chacun d’imaginer la sienne en écho aux poids lourds. « Pour agir » affirme Voltaire ; « Pour bander, car tout est là ! » lui répond Flaubert ; « Pour l’éternité» plaide Hugo, « non, non » chuchote Jules Renard, ça sert à ramasser « sur terre les morceaux de paradis brisé ». « Pour la civilisation » qu’il espère chrétienne, rumine Chateaubriand, par-delà ses Mémoires. Balzac, démiurge gargantuesque, inlassablement recrée le monde, tandis que Maupassant y promène le miroir de saclaire écriture. Proust y tient encore dans les cercles endormis d’une mémoire alanguie, toute la beauté de l’art. Face à ces voyants, que font nos actuels écrivant, gavés d’images, gangrénés d’information, pseudo-communiquant? Que fais-je moi-même ? Veiller. Tenir sa lampe allumée. Nécessité vitale assène Illich. Ascèse rédemptrice, confirme le sage, souvent moine, toujours relié. De nocturne et guerrier, le veilleur est devenu l’immortel universaliste sous la menace protéiforme d’une Apocalypse mondialisée. Dans son Voyage au bout de la nuit, Ulysse rejoint Don Quijote, Sur la route, A la recherche du Temps perdu ? Derrière le phare des titres, ils veillent et balisent notre virtuel de leurs vivantes fictions. Pourquoi est-on si souvent déçu quand l’œuvre littéraire, passe à l’écran? Serait-ce parce qu’on nous vole ainsi le choix d’imaginer ? Comblant frileusement les failles salutaires. La lecture rend conscient, fonctionne à l’inverse de l’hypnose télévisuelle ; bouscule les habitudes, questionne nos petites lâchetés. Dostoïevski disait « Un être qui s’habitue à tout, voilà je pense, la meilleure définition de l’homme », c’est hélas vrai et c’est pourquoi il faut ardemment et quotidiennement monter en vigie. |
Venise, ph. Catherine Debeaupte-Brision |
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Fédor-Mikhailovitch Dostoïevski |
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